Affirmation et construction identitaire sur les réseaux sociaux

Le lien ci-dessous mène vers une vidéo sur laquelle nous nous baserons pour l’écriture de cet article. Il s’agit d’une interview du sociologue Dominique Cardon, spécialisé dans l’étude de l’expression individuelle sur les réseaux sociaux.

https://moocdigital.paris/cours/reseaux-sociaux-linternet/fabrique-lidentite

Référence bibliographique : Cardon, Dominique, et Hélène Delaunay-Téterel. « La production de soi comme technique relationnelle. Un essai de typologie des blogs par leurs publics », Réseaux, vol. n^o 138, no. 4, 2006, pp. 15-71.

Un soi fabriqué et fantasmé

Dominique Cardon commence son discours en précisant que « ce ne sont pas les réseaux qui ont changé » mais bien la société elle-même. Dans le cadre de notre recherche sur les pratiques numériques des fans, il est important de remettre l’évolution de ces dernières dans ce contexte. Les réseaux n’ont pas révolutionné la société ; c’est la société qui a fait évoluer la manière dont on utilise les réseaux sociaux.

A la fin des années 1990, la société a connu, comme le raconte Dominique Cardon, une dynamique d’individualisation et de prescription à être soi-même, à se singulariser et à se distinguer des autres. C’est dans ce contexte que les réseaux sont devenus pour les individus « un instrument pour fabriquer la personnalité qu’ils veulent faire valider auprès des autres ».

Sur les réseaux, l’individu est toujours soi-même, mais d’une façon théâtralisée et qui fait l’objet d’un calcul. « On sélectionne des traits de sa personnalité et de sa vie qui sont ceux qu’on aime montrer et mettre en avant. Ce qu’on montre sur les réseaux fait l’objet d’un calcul : quels sont les éléments de ma vue auxquels je veux donner une visibilité plus grande ? ».

Selon Cardon, l’internaute ne montre sur les réseaux que ce qu’il a envie de montrer et de faire valider par les autres. Il choisit et sélectionne donc les traits de sa personnalité qu’il veut mettre en avant. Grâce à nos entretiens, nous avons pu nous rendre compte que les fans exacerbaient leur passion pour Queen sur les réseaux sociaux. Ils semblent en parler plus sur les réseaux sociaux qu’ils ne le font en réalité, ce qui revient à cette idée de sélection.

Or, Dominique Cardon continue en affirmant que les « traits [sélectionnés] participent grandement à la construction identitaire » et qu’ils sont une « projection », un « devenir possible de l’individu tel qu’il aimerait être perçu par les autres ».

Uns distanciation interne

Cette utilisation particulière des réseaux sociaux induit une « boucle réflexive » entre l’identité de l’individu telle qu’elle est perçue par les autres (identité sociale) et l’identité de l’individu dans le monde numérique (identité numérique), que Cardon appelle « identité d’accompagnement ». Cette dernière est une projection de la manière dont l’individu aimerait être perçu par tous.

Ainsi les réseaux sociaux offrent-ils à l’individu une distanciation par rapport à lui-même : l’individu est lui-même mais il est aussi, en même temps, ce qu’il choisit d’exposer sur les réseaux sociaux. « Les réseaux produisent un écart plus ou moins important par rapport à soi-même ».

On peut déduire que chez le fan également, quelque chose se joue étroitement entre son identité et sa visibilité sur les réseaux sociaux. Si le fan choisit d’exposer sa passion pour Queen sur les réseaux plus qu’il ne le fait en réalité, c’est donc qu’il cherche à y affirmer une identité d’accompagnement qui n’est pas celle qu’il a en réalité, mais qui représente un devenir possible et voulu.

« Les individus vont projeter vers les autres des messages qui enregistrent de la reconnaissance et de la visibilité. […] Ils utilisent des cadres culturels partagés pour accroître leur visibilité et se sentir accepté au sein d’un groupe en ligne. » Les fans choisiraient donc de parler de leur passion pour Queen sur les réseaux sociaux car ils y trouvent une reconnaissance de les part des autres utilisateurs. Leur identité numérique d’accompagnement s’en trouve donc validée et affirmée.